Quand une répartie bien sentie a plus d’effet qu’un coup d’épée. Avec “Ridicule”, à voir sur Arte dimanche 17 septembre, Patrice Leconte nous apprend une activité propre au XVIIIᵉ siècle : la joute verbale.
Publié le 17 septembre 2023 à 20h00
Avoir le bon mot, faire de l’esprit. À son arrivée à Versailles, le jeune baron Grégoire Ponceludon de Malavoy (Charles Berling) reçoit ces injonctions oratoires avec le plus grand sérieux de la part d’une noblesse qui ne jure que par le plaisir de la bouche… Celui d’une verve spirituelle et mordante. Pour espérer obtenir un entretien avec le roi et requérir la charge d’assécher les marais des Dombes, paradis des moustiques et des maladies infectieuses qui ravagent ses terres, le baron doit donc se faire remarquer, et gravir les échelons du flow en aiguisant ses punchlines.
Dans cette entreprise délicate, où une syllabe de travers peut renvoyer à l’état de misère le tribun maladroit, il trouvera un allié de choix : le marquis de Bellegarde. Lequel, empruntant l’élocution facétieuse de Jean Rochefort, répertorie méticuleusement dans un carnet les différentes figures de style qui concourent à ridiculiser, à l’oral, son pire ennemi. Et faire de son usager un as du persiflage.
Persiflage oui, mais point d’humour ! Attention à la méprise, car dans le XVIIIᵉ siècle prérévolutionnaire – dans Ridicule, Louis XVI a encore toute sa tête –, l’humour est l’apanage des Anglais et n’a pas encore gagné les conversations des salons français. Ce qui se joue alors à la cour, lors des goûters et des dîners où l’aristocratie laisse paraître ses meilleures ouailles, ce sont de véritables duels du verbe, des joutes qui, d’un mot, portent l’estocade au moins vif et renforcent le rang du vainqueur.
Calembour interdit
Remballez les épées – l’édit du 2 juin 1626 pris par le cardinal de Richelieu interdit officiellement la pratique du duel –, choisissez vos mots ! L’art du persiflage (néologisme apparu en 1735) tue littéralement par la raillerie ou l’ironie, dissimulée sous un lot de louanges et d’aménité, un adversaire qui, par la nullité de sa réplique, se couvrira de ridicule. Du temps de Brice de Nice, on aurait plutôt dit : « J’t’ai cassé ! » Mais chez Patrice Leconte, on parle de bel esprit.
Persiflent donc les personnages de Ridicule. En la matière, Grégoire Ponceludon de Malavoy part avec un beau jeu dans la manche, doté d’une fine répartie innée. Seul défaut notable : le jeune baron rit à pleines dents de ses propres blagues, fâcheuse manière. Et son plus redoutable adversaire, l’abbé de Villecourt (Bernard Giraudeau), homme d’Église aux mœurs terriennes et au rictus contracté, bien que moins inventif – la scène des « bouts-rimés » révèle son trac, son manque d’audace, et son défaut de droiture – compte des alliés à la cour qui concurrencent, quand on sait bien les choisir, les plus fins tours d’esprit.
Mais revenons au marquis de Bellegarde et à son carnet : « Je classe tous les mots d’esprit dans ce carnet : équivoque, saillie drolatique, allusion piquante, jeu de mots, paradoxe, … Votre “à la bouche”, par exemple, est une saillie drolatique ! » explique-t-il à Ponceludon après que celui-ci a marqué un point à la cour grâce à une sortie particulièrement agile.
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Non exhaustive, la liste de Bellegarde énumère des procédés essentiels et courants utilisés à dessein de persiflage. Ainsi l’équivoque (mot à double sens provoquant la surprise), la saillie drolatique (formule inattendue et particulièrement drôle), l’allusion piquante (dire une chose en renvoyant à une autre, volontairement blessante), le paradoxe (procédé par lequel on énonce une idée contraire à l’opinion commune). Mais attention à ne pas tomber dans le calembour, jeu de mots considéré comme une faute de français, un abus de langage de mauvais goût très mal vu à la cour. Au point que, dans Ridicule, même le roi s’en inquiète. « Ce n’est pas un calembour au moins ? » demande-t-il après avoir ri au mot de Ponceludon.
Revoir donc Ridicule muni des enseignements de Bellegarde, et se prendre aux jeux de mots. Savourer les plus beaux tours d’esprit, qu’on doit à la plume du scénariste Rémi Waterhouse, dont on livre ici l’un des plus élégants et méchants, forcément jouissif, susurré par l’abbé de Villecourt : « Ne décriez pas les ennuyeux, Madame, c’est la plaine qui donne son relief à la montagne. » Et toc !
r Ridicule, réalisé par Patrice Leconte (France, 1996). 1h37. Avec Charles Berling, Jean Rochefort, Fanny Ardant, Judith Godrèche, Bernard Giraudeau. Sur Arte, à 21h.
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