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Gaza : sous le feu des projecteurs, le conflit israélo-palestinien fait vaciller le concours de l'Eurovision - Le Figaro

DÉCRYPTAGE - La participation d’une chanteuse israélienne a entraîné une vaste polémique, jusque dans les coulisses de la compétition. De nombreux candidats ont par ailleurs glissé des références au conflit, pourtant interdites, dans leurs morceaux ou leurs prestations.

La direction de l'Eurovision tente, en vain, de rappeler que l'événement culturel est «apolitique» et demande aux artistes - et au public - de ne pas brandir de symboles en lien avec des conflits. Le ministre français chargé de l'Europe, Jean-Noël Barrot, a lui jugé vendredi soir «inacceptables» les «pressions sur les artistes» appelés au boycott d'Israël lors de la finale samedi soir. «La politique n'a pas sa place à l'Eurovision», a-t-il dit. Mais la réalité est tout autre. Le conflit israélo-palestinien s’est exporté sur la scène européenne et fait vaciller la compétition. Plusieurs polémiques ont explosé ces dernières semaines autour de plusieurs candidats, dont la chanteuse israélienne.

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Eden Golan, 20 ans, a fait l’objet de critiques après s’être qualifiée en finale jeudi soir. De nombreux appels d’artistes et d’associations scandinaves avaient appelé à exclure Israël du concours, au même titre que la Russie qui avait été bannie de la compétition en 2022 après l’invasion de l’Ukraine. Près de 12.000 personnes ont manifesté, en compagnie de Greta Thunberg, dans les rues de Malmö, en Suède, où se déroule l’événement musical. Un nouveau rassemblement est déjà prévu samedi.

«October rain»

Face à la crainte d'un attentat, la sécurité avait lourdement été renforcée. Car l’inquiétude grandit en Suède après les autodafés de Corans qui s’étaient déroulés en 2023, faisant du pays une cible des islamistes. Les habitants de Malmö sont très mobilisés pour la cause palestinienne. Chaque week-end depuis l’attaque du Hamas, des drapeaux palestiniens flottent aux fenêtres et dans les rues de cette ville classée politiquement à gauche.

Cette manifestation a fait réagir jusqu’en Allemagne, où la ministre de la Culture Claudia Roth a qualifié d’«inacceptables» les appels au boycott à l’encontre d’Israël, «en Europe et en Allemagne». Elle a par ailleurs évoqué sur X un renforcement «terrifiant» des mesures de sécurité pour protéger les ressortissants israéliens et les Juifs. «L'antisémitisme, la haine et la violence n'ont rien à faire dans un événement musical aussi important», a-t-elle ajouté.

Mais la candidate de l’État hébreu a d’abord fait parler d’elle en raison des paroles de sa chanson. Si Eden Golan s’est qualifiée avec son titre Hurricane, son morceau initial était intitulé October rain, une référence sans équivoque à l’attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre. La société israélienne de radiodiffusion (KAN) chargée de l’Eurovision en Israël avait exigé des modifications du texte. L'Union européenne de radio-télévision (UER), qui organise le concours de l'Eurovision, interdit en effet les paroles pouvant être assimilées à des positions politiques.

Des Irlandais contre la participation d’Israël

Mais Eden Golan n’est pas la seule candidate à avoir été rappelée à l’ordre. Le chanteur suédois, Eric Saade, d’origine palestinienne avait été réprimandé après s’être enroulé le poignet d’un keffieh lors du concert d’ouverture. De même que la chanteuse irlandaise, Bambie Thug, ouvertement propalestinienne, qui avait dû retirer les inscriptions de soutien à Gaza, «cessez-le-feu» et «liberté pour la Palestine», sur son costume. La candidate se décrit comme une «pop star queer de ouija» - une planche censée permettre la communication avec les esprits - et est surnommée «la sorcière» par les médias irlandais.

Bambie Thug a d’ailleurs été incitée par plus de 400 artistes irlandais à se retirer de la compétition, en signe de contestation à la participation d’Israël. Ces artistes déclarent dans leur lettre, qu'«en participant à l'Eurovision, Bambie Thug se tient aux côtés de l'oppresseur». Ils ajoutent également que les Palestiniens ont demandé aux artistes de boycotter ce concours. Bambie Thug devrait donc choisir d'être «du bon côté de l'histoire», poursuivent-ils. Selon eux, cette compétition serait un moyen de «blanchir» les crimes «génocidaires» contre les Palestiniens. À cette lettre s’ajoute une autre signée par plus de 16.000 téléspectateurs irlandais. Et ils vont plus loin. Ils demandent au directeur général de la RTE, la plus grosse chaîne irlandaise, de retirer le pays de l’Eurovision.

Mais les organisateurs de l’événement ont écarté l’idée de l’exclusion d’Israël à la mi-février : «Le Concours Eurovision de la chanson est un événement musical apolitique et une compétition entre les radiodiffuseurs de service public membres de l'UER. Il ne s'agit pas d'un concours entre gouvernements.» Concernant les comparaisons avec l’exclusion de la Russie, «[elles] sont complexes et difficiles et il ne nous appartient pas de les établir», avait poursuivi Noel Curran, le directeur général de l’UER.

Remous dans les coulisses

Les tensions autour du conflit qui oppose le Hamas à Israël se font même ressentir jusque dans les coulisses de l’Eurovision. Notamment entre Eden Golan et le candidat néerlandais Joost Klein. À l’issue de la demi-finale jeudi soir, le jeune homme de 26 ans a marqué son désaccord d'être placé à côté de la représentante israélienne Eden Golan, recouvrant notamment son visage du drapeau néerlandais à plusieurs reprises.

Autre incident, lors d’une conférence de presse qui les réunissait avec d’autres participants ce vendredi 10 mai, la chanteuse israélienne s’est vue poser une question sensible par un journaliste : «Avez-vous déjà pensé qu'en étant ici, vous faites courir des risques et des dangers aux autres participants ?» La jeune femme a imposé un silence de plusieurs secondes, avant qu’un membre de l’équipe du télé-crochet lui explique qu’elle n’est «pas obligée de répondre si [elle] ne le veut pas».

Deux chaises plus loin, Joost Klein, qui se tenait avachi sur sa chaise et avait posé un drap rouge sur sa tête, s’est aussitôt réveillé pour crier «Pourquoi pas ?». Est-ce la raison pour laquelle, ce vendredi après-midi également, l’UER a annoncé la suspension du candidat des Pays-Bas qui «ne répétera plus jusqu'à nouvel ordre» ? Il n’y a pas de certitude à ce stade, les organisateurs ayant juste justifié leur décision en raison d’un «incident». D'après la télévision publique SVT, l'«incident» mentionné par l'UER serait une confrontation entre Joost Klein et un photographe.

Eden Golan a finalement répondu à la question en déclarant que les candidats sont tous là pour «pour une seule et unique raison» et que les organisateurs prennent «toutes les précautions nécessaires pour faire de cet endroit un lieu sûr et uni pour tous». «Je pense que c'est le cas pour tout le monde et que nous ne serions pas ici», a-t-elle ajouté.

Eurovision politisé

Joost Klein est connu pour être pro-européen. Dans son morceau Europapa, il chante les couleurs du drapeau de l’UE. «Europe, unissons-nous ! C’est maintenant ou jamais ! Je vous aime tous !», crie-t-il au début de sa chanson, à un mois des élections européennes. Des paroles qui ressemblent à la devise des 27 : «Unis dans la diversité». Dans son clip, le chanteur à la frange peroxydée apparaît tel un homme politique en blazer bleu aux épaulettes démesurées, face à des micros et devant des drapeaux européens.

Une allusion qui rappelle qu’à l’automne dernier, le parti nationaliste de Geert Wilders, contre l’immigration et eurosceptique, est arrivé en tête des élections législatives aux Pays-Bas avec un score historique de 23% des suffrages. Dans son morceau, Joost Klein vante, à l’opposé, l’abolition des frontières de l’espace Shengen : «Je veux quitter les Pays-Bas mais j’ai perdu mon passeport. Heureusement, je n’ai pas besoin d’un visa pour être près de toi.» «La musique est un iceberg dont les gens ne voient que le sommet. Je ne leur en veux pas mais je les invite à regarder en dessous de la surface», explique le chanteur à 20 minutes .

La politisation de l’Eurovision n’est pas nouvelle, explique Oranie Abbes, enseignante-chercheuse à l'Université de Lorraine et spécialiste de l'Eurovision, sur France Musique. «Bien qu'il soit officiellement apolitique, le concours Eurovision a toujours été politisé. Par exemple, en 1990, cinq chansons étaient consacrées à la chute du mur de Berlin, survenue un peu moins d'un an plus tôt», développe-t-elle avant d’ajouter : «En 1980, le Maroc faisait référence au choc pétrolier de 1979. Plus récemment, le conflit russo-ukrainien est revenu à de nombreuses reprises dans les prestations de l'Ukraine.» En 2022, le groupe ukrainien Kalush Orchestra avait en effet remporté le concours avec un titre en référence à l'invasion russe.

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