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Série d'été - Leurs derniers jours : Grace Kelly, la princesse foudroyée - Paris Match

Elles nous ont tant fait rêver. Leur mort a été un coup de tonnerre. De Hollywood à Buckingham Palace, en passant par Monaco, retour sur ces jours qui les ont vues disparaître. Cette semaine, Grace Kelly. 

C ’est un carrosse qui a fait ses preuves, une belle mécanique anglaise nantie d’un moteur Buick de 8 cylindres en V. Sa couleur, marron d’Inde métallisé, est bien connue des Monégasques, voilà des années qu’on y aperçoit derrière ses vitres une fameuse silhouette, celle de Grace , une star de Hollywood devenue reine du Rocher en 1956. Ce superbe matin du 13 septembre 1982 au paradis de Roc Agel, l’héroïne de «La main au collet» a refusé l’aide du chauffeur pour conduire la Rover 3500S.

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En cette fin de vacances, elle a décidé de rapatrier quelques robes bien à plat sur la banquette arrière. Pas question de les froisser, le chauffeur a beau proposer de faire un aller-retour ou d’utiliser une autre voiture, elle se refuse, aimablement, à lui donner un surcroît de travail. Et puis, elle doit parler avec sa fille… Stéphanie a hâte de retrouver Paris, les bras de Paul Belmondo et la liberté. Elle a passé son bachot en juin. Depuis son retour d’Antigua, où elle est partie avec Paul, laissant ses parents explorer les fjords en croisière, les deux femmes se chamaillent. Une nouvelle lubie: Stéphie ne veut plus étudier le stylisme à Esmod mais se lancer dans la course automobile avec Paul. Caprice d’enfant gâtée, obstination de garçon manqué très Kelly. Hier l’atmosphère était si lourde que Robert, le jeune ami de Grace, a fait ses valises. La blonde glacée, le sourcil désapprobateur, s’asperge d’eau de rose, prend ses lunettes noires et jette un dernier coup d’œil par la fenêtre à ce paysage somptueux.

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En 1956, Rainier a fait l’acquisition d’un vaste domaine à Roc Agel sur la commune de Peille à près de 700 mètres au-dessus du Rocher. Au mois d’août, quand la Principauté est noyée de chaleur et envahie d’estivants, il fait bon se réfugier dans cette retraite aux volets pistache. Cyprès, chênes verts, chênes-lièges blasonnent la terrasse, la piscine, les massifs de lauriers et de fleurs, et même un étang bordé de hauts peupliers. Selon un journaliste de «FranceSoir»: «La princesse aime le potager et le verger et ne dédaigne pas de nourrir faisans et canards.» En réalité, c’est le prince Rainier qui joue au fermier; sa passion à elle depuis plusieurs années, ce sont les bouquets de fleurs séchées dont elle fait des sous-verres vendus dans une galerie à Monaco. Elle a de l’aplomb et ne se prend pas au sérieux. Ce lundi de rentrée, la princesse a quitté son tablier de jardinier. Plus classique que jamais, elle porte un chemisier blanc, une jupe beige et des chaussures assorties.

Le 6 mai 1955: première rencontre. Grace Kelly à 25 ans, le prince 31. Ils se marieront un an plus tard.

Le 6 mai 1955: première rencontre. Grace Kelly à 25 ans, le prince 31. Ils se marieront un an plus tard. © Michou SIMON/PARISMATCH

«Maman, grouillez-vous!» En bas, l’impétueuse Stéphie l’attend de pied ferme, piaffant d’impatience à l’idée de retrouver dès ce soir sa table à l’Apocalypse, la boîte de nuit des blousons dorés des Champs-Élysées. Déjà rebelle, le futur ouragan s’est fait sur la tête une drôle de couronne de sauvage: des petites tresses rastas qui, en plus de ses velléités de jouer les Alain Prost, n’enthousiasment guère le palais et encore moins la souveraine.

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À 9h30, le garde blond coiffé d’un calot noir et vêtu de kaki, un pistolet à la ceinture, salue la voiture qui franchit la grille d’enceinte de la propriété. De la mer au loin, les deux femmes n’aperçoivent qu’une brume blanche confondue avec le ciel. La Rover silencieuse quitte la paix des hauteurs du mont Agel pour retrouver la Côte d’Azur, la corniche et le parcours dangereux de ses lacets. Grace n’aime pas conduire, et encore moins sur cette route. Pourtant, à bord, personne ne boucle sa ceinture de sécurité, laquelle n’est pas encore obligatoire en Principauté. Stéphanie aimerait bien écouter une K7 de Culture Club sur son Walkman Sony dernier cri, mais sa bonne éducation l’oblige à supporter les remarques de maman sur cette coiffure, souvenir des Antilles, qu’elle a malencontreusement choisi d’étrenner pour sa rentrée scolaire. Pas sûr que Marc (Bohan), le directeur artistique de Dior, qui va la prendre en stage à la rentrée, soit enthousiasmé.

Steph remarque que sa mère a la langue un peu pâteuse et que son anglais parfaitement british pour une Américaine est moins fluide qu’à l’ordinaire. «Je vois trouble, je ne sais pas ce qui se passe…» Dans l’échelle réduite des émotions que s’autorise à exprimer la princesse, il s’agit presque d’un aveu tragique. Heureusement la fraîcheur parfumée de l’air du matin entre par la glace de la portière légèrement baissée et la descente peut commencer, pied sur le frein, car Grace ignore l’existence de la position «montagne» (frein moteur) sur la boîte automatique.

Grace Kelly poste en 1952 dans une pièce de la maison de ses parents.

Grace Kelly poste en 1952 dans une pièce de la maison de ses parents. © Al Deans/AP/SIPA

9h48. Stop de La Turbie au croisement de la route de Menton. Sortant de la boulangerie, où il est allé chercher des croissants, un jeune gendarme reconnaît et salue la voiture et sa conductrice. Grace a toujours cette lumière qui fascinait James Stewart dans «Fenêtre sur cour ». Départementale 37 à gauche, itinéraire de la moyenne corniche pour atteindre la Principauté, avec ses trois derniers virages en lacet. Stéphanie regarde sa mère. Ce matin, elle n’a vraiment pas l’air dans son assiette, les doigts crispés sur le volant, une expression parfois hagarde sous sa coiffure impeccable (secret d’État) aux mèches rajoutées. Voilà qu’elle refait du cinéma avec Robert, réalisateur autrichien d’origine roumaine. Un moyen-métrage d’art et d’essai, voire expérimental vu les rushs récents. Ça ne risque pas de faire exploser le box-office, ça l’amuse beaucoup mais ça la fatigue un peu.

Dans son camion, Yves Raimondo suit la Rover depuis cinq minutes. Première courbe douce sous trois pins parasols, puis amorce du premier virage serré. Devant le poids lourd, la berline ralentit normalement, deuxième épingle devant la piste de l’aéroclub de Monaco, toujours rien d’inhabituel. Soudain, le routier voit la Rover faire une embardée sur la gauche puis sur la droite presque au contact de la roche… Il klaxonne. La Rover reprend une trajectoire normale sur environ 30 mètres, mais, arrivant au dernier virage, elle continue sa route tout droit sans que les feux stop s’allument, accélère et bascule dans le vide.

Cinquante mètres plus bas, Sesto, un horticulteur de 62 ans, est occupé à biner ses fleurs. Un fracas lui fait lever la tête. «À cause du bruit, j’ai d’abord cru à un accident de Canadair, puis j’ai vu la voiture heurter les arbres et faire des tonneaux. » La carcasse est maintenant immobilisée à quelques mètres sur un terre-plein devant une maison en construction. Le propriétaire, qui surveillait ses travaux, approche. La lourde Rover est penchée sur le côté droit, les roues gauches reposant sur le talus. Elle est fracassée mais entière. À l’intérieur, on aperçoit un jeune garçon qui essaye de s’extraire par la portière avant gauche. Les premiers témoins l’aident et tentent de le réconforter. C’est une jeune fille. Elle s’écarte et marche seule, boitant, blessée, l’épaule pleine de sang. En quelques secondes, l’adolescente vient de passer d’une beauté, qu’elle ne remarquait qu’à peine, le monde protégé qui est le sien, à un monde hostile, l’envers du paradis: des cailloux, des plantes piquantes, de la poussière, une odeur d’huile chaude et de sang. Elle porte un jean et un blouson. Les témoins ne la reconnaissent pas à cause de ses tresses. Elle dit: «Maman est morte, il faut aider maman.»

24 heures après l’accident, Rainier, avec l’accord de ses enfants, autorise l’hôpital à débrancher l’assistance respiratoire

Mme Toulouse, une voisine, la prend dans ses bras et essaie de la calmer. Elle pleure et dit: «Il faut prévenir papa.» Mme Toulouse lui demande qui est son papa, elle répond: «C’est le prince, je suis sa fille, Stéphanie.» Puis elle se tait, sentant monter une douleur puissante qui irradie de la colonne vertébrale. À l’intérieur de la carcasse, à moitié enfouie sous les vêtements, une femme est étendue en travers des places arrière, la tête sur la lunette. Un homme lui demande: «Ça va? Est-ce que vous m’entendez?» On ne lui répond pas.

Il est 10h25, pendant que Stéphanie est évacuée rapidement dans une première ambulance, les pompiers dégagent Grace par la lunette arrière. La princesse est inconsciente, sa jambe droite est complètement déviée. Elle a une plaie au cuir chevelu, ses yeux sont grands ouverts, pupilles dilatées. L’œil droit ne réagit plus à la lampe. Un pompier pose une serviette sur son visage, on la sangle sur une civière. Direction l’hôpital Princesse-Grace, à Monaco.

Les gendarmes français dressent leurs premières constatations. La voiture a fait une chute de 38,50 mètres, amortie par les arbustes et un pin maritime qu’elle a éraflé. Le frein à main est tiré de trois crans et le levier de vitesse automatique en position zéro, c’est-à-dire au point mort. Le combiné téléphonique de la voiture pend à l’extérieur. Lorsque Rainier et Albert rejoignent Grace dans la chambre 113 du centre hospitalier, on ne s’attend pas encore à une issue fatale. Une grave fracture du fémur droit, une clavicule cassée, des saignements dans la région génitale. On réduit la fracture et on la laisse en observation. Mais son état s’aggrave rapidement, la blessée ne reprend conscience que par courts instants durant lesquels elle ne parle pas mais gémit faiblement. Appelé à la rescousse, le chef du service de neurochirurgie de l’hôpital de Nice arrive à 20 heures et préconise un scanner. Il n’y en a pas sur place, il faut la transporter avec sa tente à oxygène dans un cabinet médical.

Le verdict: double hématome cérébral inopérable. Le premier, non traumatique, antérieur aux blessures, a entraîné une perte de connaissance minime, la perte de contrôle et donc l’accident. Le lendemain, 24 heures après l’accident, Rainier, en accord avec ses enfants, autorise le service médical à débrancher l’assistance respiratoire.

Le prince Rainier III de Monaco avec la princesse Grace, Caroline et Albert, le 8 août 1980

Le prince Rainier III de Monaco avec la princesse Grace, Caroline et Albert, le 8 août 1980 © ACTION PRESS / VISUAL Press Agency

Dans le monde entier, il n’est question que de Monaco, de Hitchcock et de mystère entourant la mort de la princesse. Un vrai film de suspense, alimenté par la presse à scandale et notamment le tabloïd américain «The National Enquirer». C’est le début d’une rumeur persistante: Stéphanie aurait conduit la voiture. Comme souvent la paranoïa repose sur de réels éléments: la jeune fille adorait la course automobile et on l’a extraite par la portière gauche. Le veto imposé par le palais aux enquêteurs de la gendarmerie (Stéphanie ne sera jamais interrogée) en rajoute dans le sens du complot, sans parler d’un deuxième ragot, ce vieux serpent de mer concernant les liens supposés de la Principauté avec la Mafia.

En réalité, un capitaine de gendarmerie, peu soupçonnable de complaisance à l’égard de la sécurité du palais, lèvera le doute des années plus tard: c’est bien Grace qui conduisait. Entre le moment où le jeune collègue amateur de viennoiseries a aperçu l’auto et le moment où le camion la voit zigzaguer, il n’y a qu’un terre-plein permettant à la passagère et à la conductrice d’échanger leurs places. À supposer que Grace se soit sentie mal et qu’elle ait demandé à sa fille de 17 ans de la relayer (hypothèse peu probable dans les circonstances), il leur était matériellement impossible d’opérer sans qu’un témoin les aperçoive. Quant à la piste du sabotage sicilien, elle ne tiendra pas devant l’expertise de la compagnie d’assurances. C’est la raison pour laquelle la gendarmerie laisse tomber l’enquête.

La rumeur : Stéphanie aurait conduit la voiture

La disparition brutale de Grace, ses funérailles à une époque où les concierges disparaissent, mais où la presse qui leur était destinée devient insolente et ne cache plus rien des frasques familiales, marque un tournant dans le destin des Grimaldi. La princesse très catholique, qui avait dû céder devant l’Église et la jalousie provinciale des Monégasques, abandonner ses rôles de cinéma au profit unique de son rôle d’altesse, devient après sa mort un personnage plus trouble. Le feu sous la glace dont l’érotisme secret influença tant de comédiennes, de Catherine Deneuve à Nicole Kidman, devient une martyre exposée au public que certains veulent canoniser (une demande est faite à Rome) et que d’autres s’obstinent à salir.

Depuis quarante ans, les biographes fouillent ses placards, s’inquiètent de ses souffrances, de ses amants, des relations œdipiennes avec son père, millionnaire à la Gatsby. Les Grimaldi, qui figuraient dans les assiettes peintes vendues aux touristes (ce tourisme populaire que Rainier a réussi à développer en s’opposant à la mainmise d’Onassis), deviennent les Atrides eighties, la plus célèbre famille dysfonctionnelle au monde après les Ewing de «Dallas» et les Windsor. On restaure la vieille malédiction du XIIIe siècle: une sorcière violée qui aurait lancé un sort au seigneur abusif. Les mésaventures de Stéphanie, les alliances de sa sœur, passée du rang d’altesse sérénissime à celui d’altesse royale en tant que princesse de Hanovre, et depuis quelques années le mystère Charlène forment une série si bien organisée par les passions qu’il n’y a pas besoin d’en faire «The Crown». 

Reste le grand mystère de cette femme qui n’est pas sa mort, contrairement à Marilyn, mais sa vie. Toute âme a son secret, surtout l’âme des «cold blondes». Qui était la vraie Grace? L’épouse soumise que certains décrivent ou une brûlante arriviste dissimulant ses frasques sous une allure de sainte-nitouche et «volant» l’Oscar 1955 à Judy Garland, une excellente actrice trop tôt sevrée de Hollywood, une ménagère américaine qui aimait les coussins brodés d’inscriptions humoristiques et organisait des barbecues géants au Sporting, l’élégante cliente des couturiers, la promeneuse de chiens de l’avenue Foch. L’instinct des grands artistes étant plus exact que les faits, il suffit pour connaître Grace de regarder le personnage qu’elle incarne dans «Fenêtre sur cour». Elle y a tout mis, la beauté rayonnante accentuée par un jeu «physique», la soumission masochiste, la coquetterie, l’élégance, l’humour et la bienveillance, cette humanité cocasse dont elle a souvent su faire preuve à l’égard des éclopés, des perdants. 

À la fin de sa vie, elle enviait les clochardes du métro. Confidence à une amie, apprenant qu’une des dames d’honneur de son mariage, la plus impeccable, ayant perdu la tête finissait SDF dans un hospice. Horrifiante fantaisie d’une princesse richissime ? Non, plutôt le cri du cœur d’une aventurière audacieuse et timide, contrariée par une époque paternaliste et des hommes autoritaires. 

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