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Des territoires mutants, avec Wim Wenders et Bertrand Mandico - France Culture

La saison dernière, au Festival de Cannes, nous avions déjà tenté l’alliage improbable du cinéma épuré jusqu’au zen de Wim Wenders, qui nous avait alors parlé d’ Anselm, son documentaire sur le peintre et sculpteur Anselm Kiefer, et de Bertrand Mandico, dont le baroque, furieux et infernal Conann avait fait les délices de la Quinzaine des Cinéastes, et qu’il avait brièvement évoqué dans nos studios cannois. Nous retentons la même expérience ce samedi, avec cette fois le nouveau film du vétéran allemand, une fiction, tournée à Tokyo, Perfect Days, et à nouveau ce Conann, enfin sorti en salles ce mercredi. Deux films qu’en apparence tout sépare, et pourtant… Issus tous deux d’une commande, le premier d’une institution japonaise, pour filmer le travail de grands architectes dans le cadre de projets sociaux, le second du Théâtre des Amandiers, à la fin du mandat de Philippe Quesne, pour monter un spectacle lié au cinéma, ils l’ont chacun à leur manière moins détournée que prolongée. Et surtout, ils en ont profité pour s’aventurer sur les terres en perpétuelle évolution d’un profond amour et d’une connaissance intime du cinéma, de son histoire et de ses maîtres, auxquels ils se confrontent en joyeuse humilité.

Plan large

58 min

"Perfect Days", de Wim Wenders

Avec ce poème contemplatif qu’est Perfect Days, portrait sensible d’un personnage mystérieux et opaque, chargé de nettoyer ces joyaux d’urbanisme que sont les toilettes publiques du quartier de Shibuya, et qui a valu à son interprète minimaliste et bouleversant Koji Yakusho un très mérité prix d’interprétation à Cannes, Wim Wenders, qui confirme après Anselm son retour en grâce artistique, retrouve 40 ans et autant de mutations après la capitale nippone qu’il avait célébrée dans Tokyo-G , sur les traces d’Ozu. Il nous explique comment son cinéaste japonais de chevet, à qui ce nouveau film est dédié, le hante encore aujourd’hui. "Les films d’Ozu ont changé ma vie, ils avaient une dimension métaphysiques à mes yeux. Son cinéma, et le Japon que j’ai découvert à travers lui, est devenu comme un deuxième chez moi, il a remplacé, ou plutôt repoussé l’Amérique, qui occupait alors cette place.[...] Et pour ce film, qui est le premier que j'ai pu tourner après le confinement lié à la pandémie, j’ai inventé un personnage, celui d’Hirayama, qui est comme la somme de tous les personnages que j’ai tellement aimés dans les films d’Ozu, en le situant dans le monde contemporain. Un homme très simple, mais dont la vie, pourtant, est exceptionnelle. C’est ça qui m’intéressait et que j’ai voulu raconter. Comment vivre aujourd’hui ? Comment vivre dans un monde où il y a trop de tout, dans cette abondance ? Mon héros est un peu l’exemple de quelqu’un qui prouve qu’on peut vivre avec un peu de moins..."

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"Perfect Days", de Wim Wenders
"Perfect Days", de Wim Wenders
- Haut et Court

À lire aussi :  Wenders / Berlin, une fiction de Thierry Roche et Guy Jungblut

"Conann", de Bertrand Mandico

C'est en Enfer que commence le dernier long métrage de Bertrand Mandico,  Conann, ou comment, en six chapitres et autant d’incarnations différentes, l’une succédant à l’autre par meurtres répétés, sa version féminine du barbare cimmérien propose sous son baroque exubérant une réflexion profonde et jamais aussi directement politique chez lui sur les barbaries contemporaines. Six âges d’une héroïne mutante et de plus en plus monstrueuse, qui convoquent autant d’histoire des représentations du cinéma. "Lola Montès, le dernier film de Max Ophüls, m’a servi de trame pour Conann. C'est l’histoire d’une courtisane damnée qui va se retrouver comme une créature de cirque, en train de se raconter du haut d’un trapèze. Le spectateur est propulsé dans sa vie par fragments, et Conann, cette âme damnée qui se raconte depuis les enfers, c'est un peu la même chose. La damnation du personnage consiste en ce qu’elle arrive complètement amnésique en Enfer, et les souvenirs vont remonter à la surface, la faisant revivre toutes ses souffrances, dans une boucle infernaleA chaque nouveau film, poursuit le cinéaste, j’essaie de me mettre en danger aussi par rapport à des parti pris assez radicaux. Conann est un film que j’ai tourné en cinq semaines, ce qui est peu par rapport à l’ambition de cette épopée, dans une ancienne usine de sidérurgie. Et j'ai décidé de tout tourner à la grue, pour aller au bout de l’idée de l’hommage rendu à Ophüls et pour opter sur l’idée de plan séquence et aussi m’enrouler autour des actrices, tel un serpent, ou un dragon, pour amener de la douceur dans mes mouvements de caméra et contrebalancer la dureté des propos. Pour moi, le cinéma est un art en soi, c’est trop souvent oublié : on peut faire de l’art en faisant du cinéma, du moins essayer d’en faire, ce qui ne veut pas dire faire des films expérimentaux dédiés aux galeries, mais faire des films qui touchent un public et en même temps qui ont une vocation artistique. Et c’est ce que j’essaie de faire."

Le Journal du cinéma

"Edouard Louis ou la transformation", de François Caillat

Dans  Edouard Louis ou la transformation, c'est à Amiens, que le documentariste François Caillat a transporté, ou plutôt fait revenir l’écrivain Edouard Louis, devenu l’incarnation contemporaine du transfuge de classe depuis la parution tonitruante d En finir avec Eddy Bellegueule, il y a bientôt 10 ans. Il faut dire que François Caillat connaît bien son sujet : l’auteur d’essais aussi romanesques que documentaires, comme Bienvenue à Bataville, La Quatrième Génération et Trois Soldats Allemands, signe parallèlement depuis une vingtaine d’années des portraits de penseurs et d’écrivains, dont un, en 2012, sur Michel Foucault, auquel avait collaboré un jeune normalien, un certain… Eddy Bellegueule. "J’ai eu la chance de connaître Édouard Louis avant qu’il ne devienne un personnage médiatique, médiatisé. […] Il est aujourd’hui très présent, très représenté, et encore plus maintenant à travers le théâtre. Et je voulais le montrer à un endroit où il n’avait pas encore tellement parlé au moment où j’ai fait le film, qui était le lieu de la transition, la ville d’Amiens, où il a passé quatre années comme lycéen et aussi comme étudiant, et où tout s'est joué. Je voulais retourner dans cette ville qui est un peu comme un lieu fantôme, pour fabriquer quelques chose de mémorielle dans sa tête, pour qu'il y circule et se rappelle ce qui s'y était passé. Je n’avais pas envie de raconter toute son histoire. Ce n’est pas un film sur Édouard Louis, c’est un film sur la transformation. [...] Et paradoxalement, ce n’est pas un film sociologique, bourdieusien, j’ai essayé de faire un film très humain et je crois que c’est ce qu’il est dans le film."

"Edouard Louis ou la transformation", de François Caillat
"Edouard Louis ou la transformation", de François Caillat
- Outplay Films

Les sorties de la semaine

Nous vous recommandons également ce beau portrait de Cesária Évora, la diva aux pieds nus, signé Ana Sofia Fonseca à partir de passionnantes images d’archives, et sans aucun commentaire ni interview, ça fait du bien ; un autre portrait féminin, celui de comédiennes espagnoles en répétition à la campagne, filmées par Itsaso Arana, dans la lignée de Jonas Trueba, ça s’appelle Les filles vont bien ; et aussi, pour la première fois sur grand écran, la mythique comédie musicale avec Serge Gainsbourg et Anna Karina, où sur une musique du premier la seconde chantait Sous le soleil exactement, il s’agit bien sûr d’ Anna, de Pierre Koralnik.

La chronique de Mathieu Macheret : "L’Invasion des profanateurs de sépulture", de Don Siegel (en blu-ray chez Potemkine Films)

SI vous n’avez jamais essayé de prévenir à pied des automobilistes sur une autoroute qu’un danger terrible les guette, celui de se voir substituer des doubles sans âme, vous ne savez rien de la terrible solitude de Miles Bennell, le héros pas si paranoïaque que ça de  L’invasion des profanateurs de sépultureInvasion of the Body Snatchers, de Don Siegel. Des body snatchers, depuis la parution en 1955 du roman signé Jack Finney, il y en a déjà eu quatre, mais le tout premier, l’iconique, le matriciel, c’est celui de Don Siegel, en 1955. Où, pour la petite histoire, il n’y a ni sépulture, ni profanation, mais ce qu’on pourrait plutôt qualifier, si l’expression n’avait pas pris sa funeste connotation contemporaine, de « grand remplacement ». "C'est la preuve supplémentaire que L'Invasion des profanateurs de sépulture est devenu un classique inaltérable : son scénario paranoïaque – l'envahissement à bas bruit d'une petite ville américaine par des extraterrestres qui dupliquent les corps des habitants – ne s'épuise jamais, il prend même un sens nouveau à chaque époque, convient à toute situation historique caractérisée par une montée du soupçon – exemplairement : aujourd'hui. En d'autres termes, les meilleurs films fantastiques ou de science-fiction, comme celui-ci, offrent une métaphore labile, malléable, assez souple pour accueillir des réalités multiples. Comme ce fut le cas, précisément, au moment de la sortie du film, où déjà les interprétations allaient bon train. Dans ce récit d'invasion domestique, on a pu voir, alternativement, une métaphore de la « menace rouge », mais aussi du maccarthysme. Mais alors, quel serait un film qui pourrait métaphoriser une chose et son contraire ? Justement, un film qui ne se laisse pas arrêter dans une signification univoque, mais désigne autre chose. En l'occurrence que le scénario paranoïaque est infiniment réversible, qu'il réunit des adversaires politiques dans une fiction commune, et dépend avant tout du point de vue dans lequel on se place. Celui de L'Invasion des profanateurs de sépulture désigne surtout ce moment où l'individu cesse de se reconnaître dans un récit officiel et collectif."

"L’Invasion des profanateurs de sépulture", de Don Siegel
"L’Invasion des profanateurs de sépulture", de Don Siegel
- Potemkine Films

Les annonces de Plan Large

Comme chaque premier samedi du mois, nous vous offrons des cinépass de  LaCinetek, la cinémathèque en ligne des cinéastes. Ce mois-ci, l'actrice et réalisatrice Sandrine Bonnaire, pour clore l'Année du documentaire, vous propose deux trésors du genre : Ce gamin-là, de Renaud Victor et La Terre des âmes errantes de Rithy Panh. Le réalisateur du mois est un écrivain, le prix Nobel de Littérature 2019 Peter Handke, qui présente ses 50 films préférés, dont L'Homme tranquille et L'Homme qui tua Liberty Valance de John Ford, La grande extase du sculpteur sur bois Steiner de Werner Herzog, ou Au travers des oliviers d'Abbas Kiarostami, l'homme a du goût ! Et enfin, une thématique "Le vrai du faux" vous propose de naviguer en eaux troubles et faux semblants, l'occasion de voir et revoir, entre autres, les Vérités et mensonges d'Orson Welles et le génial Black Book de Paul Verhoeven. Pour tenter votre chance,  suivez ce lien !

Quelques annonces encore, pour fêter le  100e numéro de 1895, l'indispensable revue d'histoire du cinéma éditée par l'Association française de recherche sur l'histoire du cinéma, qui propose pour l'occasion un vaste état des lieux sur la recherche en ce domaine.

Histoire du cinéma toujours : si vous voulez tout savoir sur le tournage épique du Parrain, l'enquête la plus complète à ce jour, plus de 400 pages, consacrée au chef-d’œuvre de Francis Ford Coppola vient d'être publiée chez Capricci, ça s'appelle  Laisse le flingue, prends les cannolis, et c'est signé Mark Seal.

Coppola côté fille : Sofia Coppola honorera de sa présence la rétrospective que lui consacre la  Cinémathèque française du 6 au 12 décembre. Quant à l'Italienne Alice Rohrwacher, elle est rétrospectivée elle au Centre Pompidou depuis hier soir et jusqu'au 1er janvier, le tout accompagné d'une exposition-installation, que la cinéaste nous fera visiter la semaine prochaine dans Plan Large, si tout va bien. En attendant, vous pourrez dès mardi prochain, si vous êtes à Paris, découvrir en avant-première son nouveau et merveilleux film,  La Chimère. Ce sera à 20h dans le cadre de nos  Séances France Culture, au Majestic Bastille, le tout suivi comme toujours d'un débat avec la réalisatrice.

Extraits sonores

  • Extrait de Perfect Days, de Wim Wenders (2023)
  • Perfect Day, par Lou Reed
  • Pale Blue Eyes, par Lou Reed
  • Extraits de Rainer, A Vicious Dog In Skull Valley, de Bertrand Mandico (2023)
  • Extrait de la BO de Conann composée par Pierre Desprats ( Le Serpent )
  • Extrait d'Edouard Louis ou la transformation, de François Caillat (2023)
  • Different Pulses, par Asaf Avidan,
  • Extrait de L’Invasion des profanateurs de sépulture, de Don Siegel (1956)
  • Extrait de la BO de L’Invasion des profanateurs de sépulture, par Carmen Dragon

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