Alice Munro est née à Wingham, dans l’Ontario, le 10 juillet 1931, près d’un lac aussi grand qu’une petite mer. Elle est morte mardi 14 mai, à 92 ans, selon sa famille citée par le quotidien canadien The Globe and Mail. L’Ontario, qui fut le pays des Hurons, est une riche province du Canada, pourvu d’une lieutenante-gouverneure nommée Elizabeth Dowdeswell. Un pays et une région marqués par le puritanisme, un pays qui rappelle d’autres contrées du Nord, la Suède ou le Danemark, des pays de littérature. La neige et la Bible y jouent un rôle essentiel, et aussi les vastes espaces où croisent voitures, camions et tracteurs.
Dans les maisons, filles et femmes s’activent. Et partout il est fort mal vu de se plaindre, et de se faire remarquer. De ces silences, de ces secrets, de l’interdit et de l’indicible naissent légendes, contes et romans.
Alice Munro a grandi sans en perdre une miette dans une famille qu’elle évoque souvent et drôlement : le côté écossais, épris d’égalité, d’universalisme et de culpabilité, un tas de tantes raides et sèches, et le côté maternel, venu des terres ingrates du bouclier canadien, peuplé de personnages ridicules à première vue, et moins ensuite, et là, des tantes hautes en couleur et de vastes dimensions, tout à fait kitsch, qui font penser aux fées dans La Belle au Bois dormant.
De quoi écrire des nouvelles pendant mille ans
Elle n’est presque jamais partie. Il y avait dans ce comté rural de Huron de quoi écrire des nouvelles pendant mille ans.
Ses héroïnes, des femmes de tous âges, étudiantes en littérature, professeures de grec ou de danse, le nez toujours fourré dans un livre, sont réputées à la fois pour leur timidité et leur manière de décrire avec verve les détails infimes de la vie ordinaire, et traversent son vaste pays dans des trains qui les emportent vers le Grand Nord, ou au bord de lacs paisibles et inquiétants, vaguement suisses. C’est dans ces trains à l’atmosphère si reconnaissable de solitude peuplée qu’ont lieu bien des rencontres.
L’image que nous gardons d’Alice Munro à travers les photos souriantes qui ont accompagné en octobre 2013 l’annonce de son prix Nobel de littérature est celle d’une femme au regard aigu, taquin et tendre, auréolée de cheveux blancs et frisés – « C’est naturel, cette frisure ? », lui a-t-on souvent demandé – une femme de 80 ans désireuse d’être comme tout le monde, mais qui ne peut cacher combien elle est élégante et timide, discrète et géniale. Alice Ann Laidlaw quitta l’université en 1951 pour épouser un certain James Munro et s’installer avec lui à Vancouver, en Colombie-Britannique. Elle y tint une librairie à Victoria, à partir de 1963. C’était une lectrice fervente de Willa Cather, de James Agee et d’ Eudora Welty qui se plaignait de sa maladresse congénitale, de son manque de sens pratique, ça la faisait rire quand même d’être si gourde, et cela doit faire rire aussi ses trois filles. (Elle en a eu quatre, mais la deuxième est morte à la naissance.)
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