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Cabaret vert à Charleville-Mézières : le pari exigeant d'un festival qui tente de se verdir - Télérama.fr

Damso, Hamza, Black Eyed Peas... Sans renoncer aux têtes d’affiche, le festival ardennais, qui tient jusqu’à dimanche sa 17ᵉ édition, essaye tant bien que mal d’engager sa transition écologique. Reportage.

Le festival Cabaret vert, a multiplié par dix sa fréquentation en dix-huit ans depuis ses débuts en 2005.

Le festival Cabaret vert, a multiplié par dix sa fréquentation en dix-huit ans depuis ses débuts en 2005. Photo N.Lambert-Nin/Cabaret Vert

Par Jean-Baptiste Roch

Publié le 18 août 2023 à 17h27

«Depuis huit jours, j’avais déchiré mes bottines, aux cailloux des chemins, j’entrais à Charleroi. Au Cabaret-Vert : je demandai des tartines de beurre et du jambon qui fût à moitié froid. » Au festival du Cabaret vert à Charleville-Mézières, on peut encore déguster, comme dans le poème d’Arthur Rimbaud, du jambon de pays décliné en diverses spécialités. Mais le poète, enfant du lieu, serait surpris de la tournure des événements : son Cabaret vert, transformé en festival de musiques actuelles – l’un des dix plus gros en France – qui réunit sur cinq jours plus de 120 000 personnes au cœur de la cité ardennaise, près de la frontière belge, propose désormais aux aventuriers en bottines souillées un menu pléthorique, mélange de barouf sonore et de conscience écologique.

Depuis ses débuts, en 2005, le Cabaret vert s’efforce de verdir, à l’image de son patronyme, sans renoncer à ses vertus poétiques, pour devenir, selon ses organisateurs, un « cabaret durable ». Pionnier en France d’une réflexion sur l’écoresponsabilité, le festival, raout massif et populaire qui a multiplié par dix sa fréquentation en dix-huit ans, se voit aujourd’hui contraint de passer aux actes, sous peine d’incarner les contradictions du secteur : discours de façade sur la maîtrise de son bilan carbone, en même temps qu’une course effrénée à la croissance et aux têtes d’affiche, à l’image des Black Eyed Peas, programmés à grands frais à la dernière minute, en remplacement de Lomepal. Dans son écrin mêlant friche industrielle et îlots de verdure en plein centre-ville, l’écueil du greenwashing guette aussi le Cabaret vert : « Nous ne sommes pas parfaits et nous nous gardons bien de donner des leçons, mais chez nous l’écoresponsabilité n’est pas un vain mot », se défend Julien Sauvage, fondateur du festival, dont le statut, comme celui des Vieilles Charrues en Bretagne, demeure associatif.

Julien Sauvage, fondateur du festival.

Julien Sauvage, fondateur du festival. Photo Arnaud Gratia/Cabaret Vert

Calé dans un des préfabriqués du site qui résonne de basses vrombissantes, le patron du fringant festival se garde de brandir un objectif de « neutralité carbone » et met en avant la transition engagée par son événement en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Première étape concrète de cette transformation : la publication récente d’un bilan carbone précis du festival, dans le cadre d’un projet baptisé Decarb’On. Au-delà du coup de com, évident, le geste pose un diagnostic salutaire, indispensable et rare dans une filière qui, à quelques exceptions près (We Love Green à Paris, les Nuits secrètes dans le Nord…), tarde à s’engager dans la voie de la décarbonation, se cantonnant souvent aux gobelets consignés et aux toilettes sèches.

La mobilité des publics représente 55 % de nos émissions de carbone.

Jean Perrissin, chargé du développement durable du festival

« Avec 3 287 tonnes équivalent carbone, notre bilan représente 377 fois le tour de la terre, ou l’empreinte carbone annuelle de 357 Français moyens », chiffre Jean Perrissin, chargé du développement durable du festival, qui nous emmène dans une « écovisite » des installations. Ce bilan a permis d’évaluer précisément les deux secteurs les plus polluants – les mêmes pour tous les festivals : « La mobilité des publics, qui représente 55 % de nos émissions de carbone, ainsi que l’alimentation (nourriture et boissons), avec 18 % ». À elle seule, la moitié du public, provenant d’autres département français que les Ardennes ainsi que de l’étranger (principalement de la Belgique, toute proche), est responsable de plus de 80 % des émissions liées aux déplacements, souvent en voiture.

Alors que faire ? Attirer un public encore plus local ? « C’est en effet une piste que nous creusons », admet Jean Perrissin. Un TER de nuit desservant les gares entre Charleville et Reims a été mis en place, ainsi que des tarifs avantageux. La question de l’acheminement des artistes, parfois depuis l’autre bout du monde, est aussi sur la table : l’idée, séduisante, serait d’imposer aux tourneurs et aux producteurs un quota d’émissions carbone à ne pas dépasser. Mais le pari se révèle hasardeux, dans un contexte de concurrence accrue entre festivals et d’inflation des budgets artistiques et logistiques.

« La moitié des plats salés vendus sur le festival sont végétariens », selon Jean Perrissin, chargé du développement durable du festival.

« La moitié des plats salés vendus sur le festival sont végétariens », selon Jean Perrissin, chargé du développement durable du festival. Photo N.Lambert-Nin/Cabaret Vert

Autre défi de taille : celui de l’alimentation. « La moitié des plats salés vendus sur le festival sont végétariens, et 100 % de la vaisselle est compostable ou recyclable. » Compte tenu de son impact carbone – la production de viande représente environ 15 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre –, Jean Perrissin a songé un temps à proscrire toute offre carnée sur le festival, à l’instar de We Love Green à Paris cette année. Mais il a vite fait machine arrière : « Beaucoup de restaurateurs du festival nous ont dit : ça ne va pas se vendre ! » Cela impliquerait aussi d’abandonner une filière locale d’éleveurs, sollicitée jusqu’ici et devenue dépendante de ces revenus. Selon lui, face aux mêmes enjeux, le festival des Nuits secrètes, dans le Nord, aurait été contraint de renoncer, sous la pression de la filière et de certains élus.

Favoriser l’économie circulaire

En matière de boissons en revanche, le Cabaret vert conserve la main, avec une offre massivement locale et artisanale. « Pourtant, ce serait beaucoup plus facile pour nous de signer un contrat avec Heineken que de proposer soixante bières différentes : on ferait rentrer 100 000 euros dans les caisses et cela réduirait le nombre de bénévoles à mobiliser, ainsi que les partenariats privés à aller chercher. Mais on perdrait du public, très attaché à une autre éthique », affirme Jean Perrissin, fier que son festival s’autofinance encore à 80 %.

Une vingtaine de bénévoles collectent et trient en continu les déchets sur le site.

Une vingtaine de bénévoles collectent et trient en continu les déchets sur le site. Photo N.Lambert-Nin/Cabaret Vert

Fier aussi que, à côté des 80 tonnes de déchets collectées et triées sur le site en continu par une vingtaine de bénévoles affairés, plus de 40 tonnes de litière des toilettes sèches partent alimenter une usine de biométhanisation du coin, pour produire de l’électricité. Afin de verdir ses sources d’énergie, le Cabaret vert ambitionne de réhabiliter l’usine hydroélectrique qui, via un bras détourné de la Meuse, fournissait jadis en électricité La Macérienne, ancienne fabrique de cycles et d’automobiles située au cœur de son site. À l’avenir, la friche devrait servir de siège et de tiers-lieu à l’organisation du festival, pour favoriser une économie plus circulaire. Car, avec un budget en hausse de 10,5 millions d’euros cette année, le Cabaret vert peine à rentrer dans ses frais. Sa réussite attise pourtant les convoitises : une délégation d’AEG, mastodonte américain de l’industrie des concerts et grand rival de Live Nation, était présente sur le site à l’ouverture de cette 17ᵉ édition. « Ils m’ont chiffré la valeur du Cabaret vert à 11 millions d’euros. J’en suis honoré, mais je ne vendrai pas », assure Julien Sauvage. Lequel semble encore préférer ses vieilles bottines déchirées aux mocassins du grand capital.

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