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Everything Everywhere All at Once : critique dans le vrai Multivers de la folie - EcranLarge

Taxes et dragon

Evelyn Wang démarre très mal sa journée au sein de la laverie familiale. Son mari Waymond envisage le divorce, sa fille lui en veut de ne pas accepter sa petite amie, et son père est de passage aux États-Unis, en transportant dans ses bagages tous les reproches qu'il peut envoyer à la figure de son enfant émigrée.

Pourtant, tout cela n'est finalement que peu de choses face au redressement fiscal qui attend l'héroïne. Ce que ne sait pas encore Evelyn, c'est que son arrivée dans les bureaux froids et impersonnels des inspecteurs des impôts va devenir le théâtre d'une brèche dans le Multivers. Oui, ce même Multivers qui sert à la pop-culture à justifier presque tout et n'importe quoi, des élans métaphysiques bouleversants de Rick & Morty aux possibilités de "reset" scénaristiques infinis de Marvel.

Everything Everywhere All at Once : photoEst-ce que tu m'entends, Yeoh ?

Forcément, Everything Everywhere All at Once pourrait paraître téléphoné, voire opportuniste, dans sa manière de combiner un drame à l'américaine tendance festival de Sundance et un ressort narratif à la mode. Le carton surprise du film outre-Atlantique – qui a joui d'un bouche-à-oreille trop rare pour être souligné – laisse songeur. Fait-on face à un réel phénomène contemporain qui sort des clous (d'autant plus réjouissant à l'heure où les salles se remettent péniblement du Covid) ou à un simple coup de génie marketing ?

Par chance, le long-métrage de Daniel Scheinert et Daniel Kwan (surnommés les Daniels) fait vite pencher la balance du côté de la première option. Malgré le nombre hallucinant de règles et de concepts qui permettent à Evelyn de se connecter à des versions d'elle-même dans des dimensions alternatives, le duo de réalisateurs (déjà à la barre de Swiss Army Man) s'efforce de conserver une efficacité dans le déroulé de son récit, de sorte à ne jamais perdre le spectateur dans des avalanches de techno-bullshit indigent.

Heureusement d'ailleurs, puisque pour le reste, Everything Everywhere All at Once ne fait pas de cadeau. Mille idées s'enchaînent à la minute, d'une trouvaille de montage à une réplique absurde en passant par un gag délirant, le tout au sein d'images qui ne cessent de changer de format. Il serait criminel de trop en dire sur les tenants et les aboutissants de l'ensemble, disons juste que le kung-fu côtoie entre autres le film de science-fiction existentiel et des... humains aux doigts de saucisse. Le résultat pourrait être éreintant. Il est au contraire on ne peut plus grisant.

Photo Michelle Yeoh

"I got no friends. I got family" - Dominic Toretto

Multivitaminé

À Ecran Large, on a plutôt apprécié Doctor Strange in the Multiverse of Madness, mais il faut bien admettre que le film de Sam Raimi déçoit dès qu’il essaie d’aller au cœur même de son concept. Au-delà d’une unique séquence qui s'essaie à des idées rigolotes, on a pour le reste qu'un futur tout propre où il faut traverser au feu rouge (la dinguerie !).

Face à tant de tiédeur, le long-métrage des Daniels ne peut que provoquer une syncope en comparaison. Dans la continuité d’un seul et unique mouvement, les cinéastes encapsulent des mondes entiers, et transitent d’un univers à l’autre par des jeux de raccords et de transitions assez révélateurs de la générosité du projet.

Photo Michelle Yeoh, Jamie Lee Curtis

Les doigts dans le culte

Qu’il s’amuse à parodier des classiques de l’animation ou à livrer les scènes d’arts martiaux les plus jouissives du cinéma américain récent, Everything Everywhere All at Once prend la forme d’un pot-pourri pop culturel toujours déférent et respectueux de ses modèles. Le choc n’est pas sans rappeler celui provoqué par l’inventivité des Wachowski lors du premier Matrix, et ce n’est sans doute pas un hasard. Alors que les actions les plus improbables aident à la connexion avec les autres univers, Evelyn constate à quel point son monde originel n’est qu’une hyperréalité normative, surtout lorsqu’elle essaie de s’extraire de bureaux aussi lénifiants que ceux dans lesquels travaillait Mr Anderson.

Pour autant, le long-métrage peut être également rapproché d’une œuvre plus récente, à savoir Trois mille ans à t’attendre de George Miller. Dans les deux cas, l’appétit boulimique pour des univers fictifs entrechoqués renvoie paradoxalement à une épure du septième art, et à un retour vers ses principes fondamentaux. L’important, c’est la connexion entre deux images pour créer du mouvement, et de deux plans pour donner un sens à ce mouvement, au milieu du non-sens global de la vie.

Everything Everywhere All at Once : photo

Le monde est stone

Ces fondations se révèlent essentielles à l’architecture globale d’un film qui ne laisse finalement rien au hasard. Si Everything Everywhere All at Once pourrait se complaire dans sa nature foutraque (et c’est le cas en de très rares instants), il n’en oublie jamais qu’il sert un cœur émotionnel fort, qui redistribue en permanence les cartes. Dans le grand vide existentiel du Multivers, les Daniels se raccrochent toujours à leurs personnages, même les plus tertiaires, pour faire exister leurs désirs, leurs peines, leurs déceptions.

Chaque champ sur un univers amène à son contrechamp, à l’exploration d’un angle mort transformant chaque gag récurrent en catharsis bouleversante. Même quand il s’agit d’utiliser un trophée à la forme évocatrice en plug anal, le film traite avec un premier degré salvateur ses absurdités. L’humanité qu’il croque n’en devient que plus renversante dans son universalité, évoquant tour à tour le ressentiment familial, la dépression, le non-dit, et la nécessité d’exprimer un amour trop souvent laissé silencieux.

Photo

Ke Huy Quan, absolument génial dans tous les registres

In the Mood for Love (and Kung Fu)

À partir de là, difficile de ne pas fondre pour la dimension méta du film, qui offre à ses magnifiques comédiens le rôle d’une vie, comme une revanche sur une industrie qui les a dénigrés. Alors que Ke Huy Quan (Waymond) a toujours été réduit au Demi-Lune d’Indiana Jones 2, le voilà plus charismatique que jamais en mari tendre ou en gentleman mélancolique tout droit sorti d’un film de Wong Kar-Wai.

Mais bien entendu, Everything Everywhere All at Once est avant tout une déclaration d’amour envers Michelle Yeoh, grâce à une caméra qui ne cesse de sublimer la finesse de son jeu et ses compétences martiales toujours aussi bluffantes. L’actrice de Tigre et Dragon devient soudainement plus que cela, et incarne au travers du délire des Daniels une métonymie du cinéma hong-kongais d’antan.

Photo Li Jing, Michelle Yeoh

Mont Sainte Michelle

Là encore, on pense aux premières aventures de Néo, mais avec une donnée plus douce-amère, qui évoque le chant du cygne d’une certaine idée du cinéma. Si Evelyn revient à la source de ce qu’elle est, il s’agit globalement de la démarche du long-métrage. Il cherche à boucler la boucle autour de ses référents, si bien qu’il emploie la figure du cercle comme un motif récurrent, du tambour de machines à laver à un certain donut.

Everything Everywhere All at Once n’en est que plus impressionnant et réjouissant, tant il parvient à toujours retomber sur ses pattes, à la manière d’un chat miraculé (ou de Schrödinger) qu’on aurait jeté du haut d’un gratte-ciel. Son énergie hyperactive n’est pas qu’un artifice. C’est peut-être la meilleure manière d’inscrire le long-métrage dans une modernité jusque-là peu apprivoisée, où les images s’enchaînent et se répondent comme tant de swipes sur une timeline de réseau social. Si le Multivers commence déjà à lasser, les Daniels pourraient bien avoir signé l’une des œuvres définitives sur le sujet.

Everything Everywhere All at Once : photo

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